Quel contrôle des facteurs de risque est raisonnable chez les personnes âgées avec diabète ?
Les recommandations conjointes des sociétés américaines et européennes de diabétologie sont de définir les objectifs de contrôle des facteurs de risque, en particulier le contrôle glycémique, en fonction des caractéristiques de chaque patient, individuellement, et en accord avec lui.
Cette dernière notion est critique, car des objectifs partagés seront associés à une meilleure adhésion du patient au traitement pour y parvenir. Chez les personnes âgées avec diabète, la polymédication est la règle, et la rationaliser un objectif prioritaire. Parmi les caractéristiques essentielles à cet égard, l’espérance de vie du patient domine, plus encore que l’âge, la durée du diabète ou la présence de comorbidités, tous facteurs qu’elle intègre. Or, il n’est pas toujours simple de l’évaluer à l’échelle individuelle et peut être une notion difficile à transmettre au patient dans le contexte de la décision partagée.
Des outils sont maintenant développés pour donner non pas un chiffre (cela reviendrait à dire d’un patient qu’il a “tant de temps à vivre”, à la fois forcément faux et aux antipodes de l’empathie nécessaire), mais une probabilité d’être décédé à cinq ans ou à dix ans. Ce type de score de risque de mortalité doit tenir compte de multiples facteurs et tirera parti des dossiers médicaux électroniques, où un moteur de recherche dédié pourra aller chercher l’information utile à l’estimation. Dans le travail de Kevin Griffith et consorts, ce sont 37 variables distinctes qui sont intégrées : l’âge et le sexe bien sûr, mais aussi une liste de comorbidités, de médicaments, un score de fragilité chez la personne âgée, des variables biologiques comme le contrôle glycémique, le bilan lipidique ou la fonction rénale, etc.
Rationaliser en fonction de l’espérance de vie
Quand l’espérance de vie est réduite, par exemple dans les équivalents d’EHPAD aux Etats-Unis, la désintensification du traitement est légitime. Défini par une HbA1c inférieure à 7,5% chez de tels patients dans une étude récente, le sur-traitement était fréquent (Niznik JD et al.). Cependant, une désintensification (retrait d’une classe ou baisse durable de la posologie) était réalisée dans 45% des cas dans les mois qui suivaient l’observation d’une HbA1c “trop bonne”, une évolution prometteuse, surtout quand la désintensification portait sur les traitements potentiellement inducteurs d’hypoglycémies.
En revanche, que faire quand l’espérance de vie dépasse raisonnablement cinq ans ? Il faut revisiter les deux piliers du contrôle glycémique : limiter le risque hypoglycémique et obtenir le maintien d’une glycémie moyenne, c’est-à-dire d’une HbA1c, proche de la normale. Ces deux objectifs sont partiellement en opposition l’un de l’autre, quand on doit recourir aux sulfamides ou à l’insuline. Chez un sujet jeune, le curseur sera plutôt du côté de l’ambition glycémique. Chez le sujet âgé pour lequel on conserve une crainte d’évolution des complications chroniques (c’est-à-dire qui a au moins cinq ans d’espérance de vie), le risque d’hypoglycémie sera le repoussoir quasi absolu. On garde en tête que pour être pertinent sur cinq ans, le déséquilibre glycémique doit être en moyenne de 2% d’HbA1c en trop. Pour être pertinent sur dix ans, si l’espérance de vie est de cet ordre de grandeur, le déséquilibre glycémique doit être en moyenne de 1% d’HbA1c en trop. En effet, on raisonne en tenant compte à la fois de l’amplitude du déséquilibre et de sa durée (comme les paquets-années du fumeur). Donc si on prend l’exemple d’une femme de 75 ans qui a une rétinopathie et une insuffisance rénale avec protéinurie, sans autre comorbidité, une espérance de vie d’une dizaine d’années est raisonnable. La laisser à 8-9% (c’est-à-dire avec nettement plus d’1% d’HbA1c en excès) tout ce temps se traduira sans doute par une accélération de l’évolution de ses complications diabétiques, une perte de chance pour elle. Si on peut la limiter sans induire d’hypoglycémies, l’investissement en vaut la peine : cela est à discuter avec elle.
Le contrôle glycémique, mais pas seulement : que faire des statines ?
Dans la vaste majorité des cas, ces patients sont aussi à haut risque cardio-vasculaire. En prévention secondaire, le niveau de risque d’un nouvel évènement est tel qu’un traitement par statine est en général reconnu comme nécessaire (à l’exception de la fin de vie, un essai randomisé de petite taille n’ayant pas montré de différence clinique notable sur deux mois selon que l’on arrêtait ou pas le traitement par statine ; Kutner JS et al.).
En prévention primaire, la situation est plus controversée, et là aussi il sera raisonnable de mettre en balance l’espérance de vie du patient. Une étude observationnelle récente des vétérans américains, qui sont suivis de près dans un système de santé indépendant et spécifique (Veterans Health Administration) a montré que, chez des patients de plus de 75 ans (au total 326981 personnes en prévention primaire, âgées de 81 ans en moyenne et suivies sept ans), l’initiation d’une statine était associée, toutes choses étant égales par ailleurs (analyse intégrant un score de propension pour limiter le biais d’indication, principal écueil de ces études observationnelles du médicament), avec une réduction significative et pertinente de 25% de la mortalité (Orkaby AR et al JAMA. 2020).
Pr Ronan Roussel
Groupe Hospitalier Bichat – Claude Bernard (AP-HP)
[Article en accès libre.]