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La multiplicité des plateformes de demande d’accès précoce alourdit notre tâche

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Depuis la mise en place du nouveau dispositif d’accès dérogatoire aux traitements le 1er juillet 2021, l’hôpital est confronté à une gestion de l’accès précoce qui se rapproche des conditions d’essais cliniques. Premier retour d’expérience avec Marie-Capucine Trousset, en charge de la gestion des ATU sur le site Bretonneau du CHU de Tours.

Le nouveau dispositif d’autorisations d’accès précoce (AAP) et d’accès compassionnel (AAC) est censé simplifier les procédures et garantir une prise en charge immédiate. Cette promesse vous semble-t-elle tenue, sept mois après son lancement ?

Le terme AAP regroupe dorénavant les ATU de cohorte (ATUc), les ATU d’extension d’indication (ATUei), les post-ATU et les prises en charge temporaires (PCT). Le terme AAC regroupe les ATU nominatives (ATUn) et les RTU. Le but était de simplifier les procédures d’accès précoce pour les industriels, avec un guichet unique via une plateforme dédiée au niveau de la Haute Autorité de santé (HAS). La réponse de la HAS dans un délai imparti et l’engagement des laboratoires à fournir un dossier et des données en vue de l’obtention d’une AMM ou d’un remboursement sont désormais en effet bien codifiés. L’AAP est délivrée pour un an renouvelable et l’industriel s’engage à soumettre une demande d’AMM dans les deux ans. En revanche, l’AAC reste dans les faits délivrée par l’ANSM sur demande du médecin via e-Saturne, procédure identique à celle des ATUn.

Je ne vois pour l’instant pas trop ce que cela change en termes d’accessibilité au traitement pour le patient. Quant aux prescripteurs et pharmaciens hospitaliers, les procédures sont démultipliées puisqu’il faut se connecter pour chaque patient à une plateforme différente pour chaque AAP dont un laboratoire est titulaire (ce dernier répondant généralement dans les 24 heures, ce qui correspond au délai qui prévalait pour les ATU).

Quel est le gros changement par rapport aux ATU ?

Il concerne les demandes d’AAP. Les prescripteurs et les pharmaciens sont tenus de participer au recueil des données patients relatives notamment aux conditions d’utilisation du médicament, aux caractéristiques des patients traités, à l’efficacité du médicament, aux effets indésirables et à la qualité de vie, et de les transmettre au laboratoire. Chaque AAP est accompagnée d’un PUT-RD (protocole d’utilisation thérapeutique et de recueil de données) qui contient notamment les fiches de demande, de suivi initial et ultérieur). On se rapproche ici du cadre des essais cliniques où le laboratoire met à disposition un eCRF (Electronic Report Case Form) pour recueillir les données patients.

Comment arrivez-vous à faire face au recueil de données en vie réelle ?

Pour des molécules utilisées à grande échelle, nous rencontrons ici des difficultés. C’est le cas par exemple avec une bithérapie d’anticorps monoclonaux récemment autorisée en accès précoce contre le Covid-19 : deux personnes de la PUI doivent gérer les autorisations pour les 330 patients inclus en un mois et demi. Ce sont des files actives énormes pour de l’accès précoce.

Rappelons cependant qu’une convention est prévue par l’art. R5121-70 du code de la santé publique entre titulaires d’AAP et établissements pour dédommager ces derniers de leurs efforts de recueil des données.

Quelle aide la pharmacie apporte-t-elle aux prescripteurs ?

Nous accompagnons chaque médecin dans sa première demande sur chaque plateforme d’AAP : où se connecter, que remplir ?… Chacune recense ses propres critères d’éligibilité au traitement avec un circuit à penser et organiser. A cet égard, je suggère aux prescripteurs de se référer au site de l’ANSM (mis à jour régulièrement) via une double requête internet “nom de produit + ansm” pour avoir accès aux référentiels des AAP et AAC, aux PUT-RD, aux résumés de caractéristiques produits…

La coexistence d’ATU avec les AAP, mais aussi les AAC, présente-t-elle une difficulté particulière ?

Les ATU qui étaient disponibles avant le 1er juillet n’ont pas changé de statut. Du coup, nous cumulons en effet les statuts d’ATUc-AAP et d’ATUn-AAC qui devraient coexister durant un an. Ont basculé en AAP depuis le 1er juillet tous les traitements bénéficiant d’un accès précoce dans une nouvelle indication, au fil des avis de la commission de la transparence de la HAS. Les PUT et le référentiel des médicaments en accès dérogatoire (disponibles sur le site de l’ANSM) spécifient bien dans chaque cas/indication si vous êtes dans le cadre d’une ATU, d’une AAP ou d’une AAC.

Je pense qu’il faudra un peu de recul pour vraiment jauger le nouveau dispositif. Il sera intéressant d’avoir des retours d’expérience au bout d’un an, notamment sur la collecte des données dans le cadre des AAP. Car la multiplicité de ces plateformes pourrait s’avérer être un frein pour l’accès précoce. Encore une fois, on se rapproche de ce qui est demandé dans les essais cliniques, activité où des personnes, en l’occurrence les attachés de recherche clinique, sont dédiées à la saisie des données patients. Ce qui n’est pas le cas pour les ATU…

* AP1 : accès précoce pré-AMM ; AP2 : accès précoce post-AMM

Propos recueillis par François Silvan