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INTERVIEW – Omédit d’Ile-de-France : “Les objectifs de développement durable en matière de produits de santé croisent des objectifs de qualité, de sécurité et d’efficience des soins”

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Dans le contexte d’une nouvelle publication alarmante du GIEC et dans la perspective d’une prise en compte croissante de critères de développement durable dans le système de soins, la question du rôle à jouer par les professionnels se pose. Dans cette perspective, l’Omédit Ile-de-France a conçu des outils pour sensibiliser et accompagner les professionnels, notamment les pharmaciens de PUI.

On connaît le rôle d’appui des Omédits en matière de qualité, de sécurité et d’efficience des médicaments et dispositifs médicaux (DM). Comment ces critères croisent-ils les enjeux de développement durable ?

Patricia Le Gonidec, pharmacien coordinateur de l’Omédit Ile-de-France : D’une part, le système de soins représente en France 8% des émissions de gaz à effet de serre (GES) selon le Shift Project (Ndlr, think tank œuvrant en faveur d’une économie délivrée de la contrainte carbone). D’autre part, le médicament et les DM représentent la moitié de l’empreinte carbone d’un établissement de santé. Enfin, le pharmacien est la porte d’entrée du médicament en établissement et se situe à un carrefour stratégique, en interface avec de nombreux professionnels, à l’hôpital comme en ville d’ailleurs. J’ajoute que la dimension Santé environnementale est inscrite dans la démarche de certification des établissements depuis des années, même si elle a été peu prise en compte jusqu’ici.

Sur la qualité et la sécurité, il faut d’abord rappeler que soin n’est pas synonyme de santé. Les déterminants socio-économiques et environnementaux ont plus d’impact sur la santé que l’offre de soins. Un premier objectif est de diminuer l’impact du système de soins sur les émissions de GES, mais aussi des résidus médicamenteux dans l’environnement. Sans parler de la santé environnementale et des maladies associées à l’exposome, où la prise de médicaments a aussi une responsabilité. Ajoutons la thématique importante des perturbateurs endocriniens ou encore des nanoparticules…

Léa Boissinot, pharmacien praticien hospitalier à l’Omédit : Côté efficience, on peut citer l’exemple de cancers secondaires liés à l’exposition à des anticancéreux lors d’une première prise en charge. Ou le développement des maladies professionnelles liées à l’exposition aux médicaments. On pense également à l’achat durable au sein des établissements de santé, mais aussi aux nécessaires démarches de déprescription.

Pourquoi et comment l’Omédit s’est-il emparé du sujet ?

P. L. G. : Nous avions organisé en octobre 2017 un premier événement en lien avec l’AP-HP, la faculté de pharmacie et l’ARS sur l’empreinte environnementale des produits de santé, avec plus de 200 participants. Un certain nombre d’établissements nous ont ensuite recontactés à ce sujet. En 2021, nous avons réfléchi à la construction d’outils qui ont été plébiscités lors d’une récente présentation à la CME de l’AP-HP. Sur les DM, des établissements se posent la question du réemploi de DM à usage unique. On peut citer l’exemple du laryngoscope ou des sets de pansements dont on jette les ciseaux…

L. B. : Nous avons eu initialement beaucoup de questions sur les déchets et leur revalorisation, mais également sur les achats, qui doivent normalement désormais inclure des critères de développement durable.

Quels outils avez-vous développés pour aider les professionnels et notamment les pharmaciens de PUI ?

P. L. G. : Nous avons commencé à mesurer en 2020 auprès des fournisseurs comme des acheteurs la prise en compte des 30 critères de développement durable liés aux achats. Ces travaux ont été publiés et sont disponibles sur notre site.

L. B. : Nous abordons aussi le sujet des achats hospitaliers dans notre newsletter “Minute durable“, également accessible sur le site de l’Omédit, avec l’interview de centrales et de spécialistes des achats. Nous y proposons une check-list “Ma stratégie achats durables, une vision à 360”. Par ailleurs, nous avons lancé fin 2021 une calculette d’empreinte carbone pour les gaz d’anesthésie inhalés. Elle permet, à partir des données de consommations extraites par le pharmacien, leur analyse par les équipes pharmaceutique et d’anesthésie-réanimation. C’est très simple d’utilisation et cela permet de générer une synthèse des unités consommées et de leur impact carbone, avec des aides à l’interprétation des résultats et quelques actions à mettre en place. On est dans une démarche d’amélioration continue de la qualité.

Dernier outil : un atelier scientifique intitulé “Plan Health Faire“, réalisé en collaboration avec Jérémy Guihenneuc du CHU de Poitiers et destiné aux acteurs en santé, parmi lesquels le patient. Il s’agit d’une formation basée sur l’intelligence collective à partir d’un jeu de cartes, avec sept modules : changement climatique, gouvernance, hôpital, bloc opératoire, maternité, eau, patient/ville. L’ensemble permet de dégager le concept de “One health”. Le premier objectif est de comprendre les enjeux portés par le développement durable (son caractère systémique et sa “complexité”). Le second objectif est de fédérer les parties prenantes, créer du lien, beaucoup d’acteurs se côtoyant à l’hôpital sans communiquer. Le troisième est d’agir par le lancement d’actions individuelles et collectives concrètes.

Que dire de la dimension sociétale du développement durable à l’hôpital ?

P. L. G. : Il y a deux dimensions à la RSE. D’abord celle concernant les patients, qui semblent pour l’instant assez peu sensibilisés, mais les mentalités progressent. On pourrait envisager plus d’entrées non médicamenteuses dans certains parcours de soins, notamment dans des pathologies chroniques.

L’autre versant RSE concerne les professionnels, qui apparaissent ici de plus en plus en attente pour apporter davantage de sens à leur activité. Un établissement qui prend en compte cette dimension est aujourd’hui plus attractif en termes de marque employeur.

Les transports sont de très loin la plus forte cause d’émission de GES en France. Cela questionne-t-il la favorisation des traitements à domicile ?

P. L. G. : Certainement. Le NHS s’est intéressé de près à l’empreinte carbone des déplacements de patients et de leurs familles à l’hôpital. En France, un projet AP-HP va s’atteler à mesurer l’empreinte carbone d’un parcours de soins. Or, la crise Covid a ouvert des portes pour encore plus d’ambulatoire. On le voit avec une grosse réflexion sur les télésoins pharmaceutiques à la Société française de pharmacie clinique. Une chose est sûre : en matière de développement durable, il faudra utiliser la politique des petits pas, car on touche aux changements de comportements.

Propos recueillis par François Silvan