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Sécuriser la fabrication anticipée des anticancéreux

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Dr Ilyes Sakji, pharmacien responsable du secteur Pharmacotechnie au Centre Oscar Lambret à Lille

Le Centre Oscar Lambret est le premier établissement à avoir installé dès 2015 un transport parpneumatique pour les chimiothérapies couplé à un bras robotisé. Un système synonyme de renforcement de la qualité et de gain de temps pour les équipes.

Qu’est-ce qui a motivé cet investissement dans un système de “transport pneumatique robotisé” ?

Nous voulions assurer une traçabilité totale et éviter toute erreur humaine pour optimiser l’anticipation de la fabrication des traitements. Nous avons mis en place à la PUI un stockage tampon via deux chambres, l’une à température ambiante, l’autre froide (160 emplacements au total). Nous sommes ainsi certains qu’une poche qui n’a pas été administrée reste dans de bonnes conditions de stockage et peut être utilisée en toute sécurité pour un autre patient. A l’usage, le système nous apporte aussi un bénéfice organisationnel. L’infirmière pouvant appeler le produit au moment où elle en a besoin, son plan d’administration est plus aisé. De plus, elle n’a pas à nous appeler, ce qui signifie moins d’interruptions de tâches à la fois pour elle et pour nous.

Comment fonctionne le système en pratique ?

Notre logiciel de transport est lié au logiciel de prescription. L’étiquette de préparation comporte un code-barres qui sert à la traçabilité de l’administration en hôpital de jour et indique le service destinataire, ainsi que la nature de la molécule (ses conditions de conservation). Après tous les contrôles pharmaceutiques, nous réalisons un scan à la douchette au niveau de la station d’envoi, ce qui permet de donner au robot les informations de stockage.

Un produit soumis à la chaîne du froid passe systématiquement par une étape de stockage en chambre. Quant aux produits conservés à température ambiante, les préparations destinées à l’hospitalisation sont stockées d’office. S’il s’agit d’une fabrication anticipée (reconnue comme telle par le logiciel), elle est également stockée. Seules les préparations destinées à une hospitalisation de jour sont directement envoyées au service.

C’est l’infirmière qui appelle, via le logiciel de prescription, une préparation stockée en chambre au moment où elle en a besoin, sachant que le produit arrive en moyenne en une minute dans le service. Une icône dans le logiciel lui indique son statut : stocké et accessible, en cours de transport, présent dans le local infirmier.

Outre les chimiothérapies, les immunothérapies sont-elles transportées par pneumatique ?

Oui, tous les produits sont concernés à l’exception de ceux pour lesquels le laboratoire nous l’interdit par manque de données, en général des produits sous ATU, en recherche biomédicale… Nous menons une veille bibliographique qui n’a révélé aucune “contre-indication” au transport par pneumatique. L’étude pionnière d’Alain Astier (Centre Henri Mondor) a montré que le point à surveiller est l’interface air-liquide. Elle recommande également de se limiter à trois transports maximum par produit.

Avez-vous dû modifier votre système de fabrication afin de minimiser le volume d’air dans les poches ?

Oui et non, car nous l’avions déjà systématiquement réduit un an avant l’installation du transport pneumatique, tout en sachant que celui-ci arrivait. En effet, nous avions mis en place des arbres de chimiothérapie pour l’administration, où la réduction de l’air dans les poches était déjà préconisée pour éviter le désamorçage des chambres compte-gouttes.

Avez-vous rencontré des problèmes de fiabilité, par exemple en fonction du volume des poches ?

Nous n’avons connu que quelques pannes au tout début, liées aux réglages du couplage pneumatique-robot. En revanche, le système de pneumatique en lui-même ne connaît pratiquement jamais de problème : une cartouche coincée en 18 mois… Et nous n’avons connu aucune erreur d’adressage.

La bibliographie n’a pas mis en évidence de soucis de stabilité des molécules transportées par pneumatique. Faites-vous le même constat ?

Oui, mais nous comptons le confirmer dans une étude. Une étudiante en pharmacie vient de lancer chez nous une thèse sur l’analyse quantitative de la molécule avant et après transport par pneumatique, en mesurant sa concentration. Nous aimerions aussi aller plus loin en confirmant l’absence de création de produits de dégradation. Nous ferons une analyse spectrométrique de nos poches avant et après transport (nombre de G, vitesse…). Et ce, sur l’ensemble des molécules de notre livret thérapeutique. Par mesure de précaution, certains établissements conseillent de filtrer les molécules après transport par pneumatique. Nous intègrerons donc aussi cette notion de filtre en fonction des résultats que nous aurons selon les produits. Nous avons commencé à contacter les laboratoires en vue de partenariats industriels pour cette étude et les retours sont pour l’instant très positifs. Objectif : une publication scientifique d’ici 2022.

Propos recueillis par François Silvan