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Pr Samuel Limat, pharmacien et président de la CME du CHU de Besançon : “Il ne suffit pas à l’hôpital d’appuyer sur un bouton pour exploiter des données en vie réelle”

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Pr Samuel Limat, pharmacien et président de la CME du CHU de Besançon :

“Il ne suffit pas à l’hôpital d’appuyer sur un bouton pour exploiter des données en vie réelle”

L’exploitation de données en vie réelle est de plus en plus requise dans des cadres très divers (accès précoce, essais cliniques…) avec un effort nécessaire, entre autres, sur les systèmes d’information (SI). C’est le cas au CHU de Besançon dans le cadre de l’expérimentation art. 51 sur la prise en charge des médicaments onéreux (liste en sus). Le Pr Samuel Limat, coordinateur des activités médicaments du Pôle pharmaceutique, trace le chemin qui reste à parcourir en la matière.

Que pensez-vous personnellement de cette volonté de s’appuyer toujours davantage sur la donnée en vie réelle ?

C’est tout à fait logique, d’abord pour être capable demain d’évaluer nos pratiques à partir de l’étude de cohortes de patients. Mais pour cela, au-delà des efforts nécessaires en matière de SI et de structuration des données, il faut déjà veiller à ce que celles-ci existent, qu’elles soient standardisées… On imagine parfois que, l’hôpital fourmillant de data (c’est une réalité), il suffira d’appuyer sur un bouton pour les exploiter. Cette idée est très perceptible dès qu’il est question de données de vie réelle. Or, on surestime la capacité du monde hospitalier à produire un certain nombre de données. Il n’existe pas encore assez de data disponibles et structurées à chaque venue du malade, certaines sont à cheval avec la ville… Au-delà des outils numériques, il faudra se pencher sur les données disponibles en permanence ou ponctuellement, et sur l’effort nécessaire pour en recueillir d’autres (cliniques, médico-économiques, etc.).

Justement, quel effort vous a demandé le recueil de données de vie réelle dans le cadre de votre expérimentation art. 51 ?

Nous avions de l’avance à Besançon, car nous avions fait évoluer notre SI il y a plus de dix ans vers l’évaluation des pratiques et nous nous étions déjà dotés d’une base de données qualitatives en cancérologie à l’échelle régionale. Nous avons dû néanmoins encore adapter notre SI pour capter certaines données supplémentaires et rendre opérationnel le data management au quotidien. Il nous faut aller chercher des données spécifiques dans les dossiers patients et réaliser un important travail de qualification. Quelle que soit l’issue de cette expérimentation, il faudra analyser le chemin à suivre pour réellement produire des données de vie réelle complètes demain et l’ingénierie à mettre en œuvre.

Quelles sont les principales problématiques à aborder pour en favoriser l’essor ?

D’abord, la performance des SI hospitaliers. Historiquement, ils n’ont pas été conçus pour le recueil de données de vie réelle, mais pour la production de soins. Les deux logiques se recoupent, mais partiellement. Ensuite se pose la question de l’interopérabilité et de la capacité à réunir des données venant de différents outils, ce qui est encore loin d’être acquis. Les données de soins sont globalement numérisées ; on arrive à croiser les données médico-économiques. Mais il reste à définir les data qui doivent être systématiquement rendues disponibles, aussi bien dans une prise en charge normale qu’en recherche clinique. Il faudra voir où elles sont, comment les agréger dans un SI, comment les qualifier… Le réel enjeu, ce sera la couche supplémentaire de données cliniques nécessaires, souvent peu structurées et non recueillies au fil de l’eau. Ce sera un sujet central dans l’évaluation de l’art. 51, mais aussi par exemple dans l’accès précoce, dont le nouveau dispositif se rapproche parfois de conditions de mini essais cliniques… Or, il y a un gap important entre les soins courants, ce qui est inclus dans les dossiers patients, et les essais cliniques !

Cela nécessite-t-il des moyens numériques ou RH supplémentaires ?

En effet, pour générer de la data exhaustive et de qualité en vie réelle, des moyens seront nécessaires. Dans le cadre d’essais cliniques, on recrute pour recueillir ces données. Dans d’autres contextes, la question centrale est : quelles data pourrons-nous générer en routine sans révolutionner les soins et les tâches de chacun, avec un coût supportable pour la collectivité ? On nous parle de l’intelligence artificielle, peut-être apportera-t-elle une solution ; la reconnaissance/dictée vocale aussi… Mais nous n’y sommes pas encore, nous en approchons. Nous avons besoin d’analyser ce qui marche, ou pas, et de travailler sur des scénarios progressifs, voir le niveau où l’on place le curseur à atteindre. On est peut-être ici sur des objectifs à 5-10 ans.

La mesure et la recherche systématiques de pertinence ne seront-elles pas un moyen d’y contribuer ?

Vous prêchez un converti ! Dans le cadre de l’art. 51, avec la comparaison entre centres et territoires de pratiques, et le modèle de financement, l’enjeu de la pertinence est présent en amont comme en aval. Mais il faut aussi des données de vie réelle pour mesurer cette pertinence et la question reste entière sur l’ingénierie à mettre en place pour cela. L’idéal serait que ces données s’auto-alimentent. On va s’en rapprocher, mais il reste du chemin à parcourir…

Vous évoquez les entrepôts de données. Quels en sont les enjeux ?

Pratiquement tous les CHU ont des projets d’entrepôts de données de santé, parfois en interrégional comme dans l’Ouest ou le Grand Est. C’est un énorme enjeu des dix prochaines années. D’une part, autour de la recherche, sur la capacité de screening, pour constituer de très grosses cohortes pragmatiques de patients non sélectionnés. D’autre part, sur la mesure de la qualité des soins qui se fera demain, j’en suis persuadé, à partir de cohortes et de résultats cliniques observés (en incluant la pertinence). Enfin, sur les notions de performances économiques et organisationnelles, en croisant des données administratives et des données cliniques robustes. Il s’agira d’un formidable outil de pilotage, de management et donc d’attractivité des établissements. Mais il y a encore du travail et les PUI ont un rôle à jouer dans cette transformation.

Propos recueillis par François Silvan