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Un financement à la pertinence & à la qualité des soins

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Pr Samuel Limat, pharmacien et président de la CME du CHU de Besançon

Le CHU de Besançon est l’un des cinq établissements (1) sélectionnés à l’été 2019 pour une “expérimentation article 51” (2) “faisant évoluer les modalités de la connaissance de l’utilisation et de la prise en charge des médicaments onéreux”. Le professeur Samuel Limat, coordinateur des activités médicaments du Pôle pharmaceutique, en décrypte les enjeux.

Comment le CHU est-il entré dans cette expérimentation ?

La Direction de la sécurité sociale (ministère) est à l’initiative du projet et a décidé de cibler certains établissements. Je pense que le CHU de Besançon avait deux atouts pour cela. D’abord, nous travaillions de longue date sur un système d’information (SI) régional et notre territoire est connu pour avoir des données qualitatives relativement matures en cancérologie. Par ailleurs, nous avons beaucoup travaillé sur la pertinence depuis une quinzaine d’années. Au regard d’un certain nombre d’études, nous sommes ainsi plutôt bien positionnés, à la fois en termes d’économie de la liste en sus et en matière de respect des bonnes pratiques. Or il y a deux éléments clés dans l’article 51 : d’une part, tester un mode de financement à la pertinence et, d’autre part, parvenir à recueillir des données d’usage. Je pense que nous étions identifiés pour avoir travaillé sur les deux volets, avec en ligne de mire une harmonisation des pratiques.

Qu’est-ce qui vous a convaincus d’accepter ?

D’une part, nous avions déjà des outils nécessaires à la maîtrise des données. D’autre part, un benchmark montrait que nous étions bien placés en termes de pertinence, ce qui nous laissait penser que nous pouvions bénéficier de l’expérimentation. Pour nous, c’était aussi l’opportunité de valoriser notre travail de ces dernières années et de finaliser notre recueil de données en vie réelle en cancérologie.

Pouvez-vous préciser les contours du financement mixte vous laissant entendre que vous serez gagnant ?

Dans cette expérimentation, deux systèmes de financement cohabitent. Habituellement, le remboursement se fait à “l’euro l’euro” en fonction des indications. Dans l’article 51, 50% de cette facturation est remplacée par une dotation mensuelle calculée à partir d’algorithmes d’utilisation moyenne du produit au niveau national. Ce second volet s’appuie donc sur la qualité de prise en charge et la pertinence de vos pratiques.

D’autre part, l’article 51 propose un renforcement de l’intéressement sur la performance d’achats (le fameux mécanisme d’EMI). Le droit conventionnel de la liste en sus en prévoit un partage à 50% entre l’assurance maladie et l’établissement. Or dans le cadre de l’article 51, 100% du gain lié à la négociation du prix d’achat revient à l’établissement. A noter que les deux mécanismes d’intéressement “embarquent” naturellement une politique de recours aux biosimilaires.

La PUI est-elle la cheville ouvrière de l’expérimentation ?

Historiquement, c’est le Pôle pharmacie qui pilote ces démarches au CHU de Besançon, en étroite collaboration avec les cliniciens. Nous avons donc le pilotage de l’expérimentation. Sachant que les cliniciens constatent que nous sommes ici dans un modèle gagnant-gagnant, et que les efforts de bonnes pratiques et de pertinence peuvent potentiellement offrir des retours concrets sur les équipes, notamment en termes d’innovation. Dès le printemps 2021, j’espère ainsi que nous “bouclerons la boucle”, à savoir financer de la qualité grâce à la pertinence.

Qu’est-ce que cela implique en plus concrètement pour vous ?

Tout cela s’inscrit dans une parfaite continuation de nos précédents travaux, engagés au milieu des années 2000. Sur le volet financier, nous gardons la même “tuyauterie de facturation”, la seule différence étant l’écrêtement à hauteur de 50% avec ajout d’une dotation. A la PUI, nous avons dû mettre à jour nos modèles de surveillance économique. Sur le volet de montée en gamme des SI, il nous faudra être capables de structurer le recueil de données relatives à la réponse thérapeutique. Après un gros effort en 2020 (dans des conditions évidemment compliquées), nous pensons démarrer le recueil de données d’efficacité des médicaments au premier semestre 2021. Quant au recueil de data sur des molécules qui sont incluses dans les groupes homogènes de séjour (GHS), sur lesquelles porte aussi l’article 51, nous avons juste eu à en organiser les extractions, car nous avions déjà ces données.

Pensez-vous que cette expérimentation débouchera sur un accès facilité aux traitements ?

Même si ce n’est pas la vocation immédiate de l’article 51, je pense en effet que ces remontées d’informations nous donneront une capacité d’observation beaucoup plus fine et, incidemment, une capacité de mise à disposition plus précoce des médicaments.

En effet, les pays industrialisés font face à un emballement de l’innovation, avec une question sur la capacité de nos systèmes sanitaires à en supporter le financement. Le sujet de la pertinence des soins est clé ici, car c’est justement un outil de financement de l’innovation. Par ailleurs, construire des systèmes permettant de recueillir des données en vie réelle sur l’efficacité et la tolérance va, de fait, contribuer demain à un accès plus précoce.

Propos recueillis par François Silvan

  1. Avec les CHU de Bordeaux, de Toulouse, le CLCC de Lille et la clinique Saint-Gatien de Tours.
  2. En référence à l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2018.