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Virginie Chasseigne, pharmacien praticien hospitalier, membre du groupe de travail Développement durable de la Société française de pharmacie clinique : “Les pharmaciens peuvent contribuer à améliorer les pratiques en faveur du développement durable”

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Le secteur de la santé représente en France 8% des émissions de gaz à effet de serre (GES), dont un tiers lié au médicament (Shift Project 2021). Rien d’étonnant à ce que les pharmaciens et les PUI soient confrontés au sujet. En témoigne le travail de Virginie Chasseigne sur le sujet, pharmacien PH et porteuse d’initiatives concrètes au CHU de Nîmes.

Comment expliquer le poids de la santé dans les GES ?

En France, nous sommes de gros consommateurs de soins et le secteur représente environ 2,5 millions d’employés. Cela étant, la moyenne des pays développés se situe bien entre 6 et 10% des GES. Quant à la part des produits de santé dans ces émissions, elle atteint 54% si l’on ajoute les dispositifs médicaux (DM), avec un impact conséquent lié à leur achat.

Sur les achats justement, de quelle marge de manœuvre dispose-t-on en PUI ?

Elle est faible sur le médicament qui passe par les centrales d’achat et notamment la coopérative Uni-HA. Mais cette dernière travaille actuellement sur le sujet. Nous avons un peu plus de marge de manœuvre localement au sein des GHT sur les appels d’offres de certains DM. A Nîmes, nous y incluons un critère RSE avec un questionnaire spécifique par DM, mentionnant par exemple le pays de fabrication, de stérilisation et de stockage, ou encore le mode de stérilisation (à l’oxyde d’éthylène, plus impactant, ou par stérilisation aux rayons gamma). A travers ce type de questions, on peut attribuer des points développement durable (DD) à côté des critères prix et techniques. La difficulté tenant ici à l’opacité entretenue par certains fournisseurs.

Sur quoi porte spécifiquement votre projet DD au CHU de Nîmes ?

Nous avons commencé par travailler sur le bloc opératoire, fortement consommateur de produits de santé et très générateur de déchets. Initialement, j’ai encadré une thèse sur la mise en place d’actions et leur quantification sur la réduction des déchets (comment mieux consommer les produits de santé au bloc), l’amélioration de leur tri et, en amont, sur le choix de ces produits de santé. Nous sommes accompagnés par notre ingénieur DD au sein de l’établissement.

In fine, on se rend compte que cette thématique est pluriprofessionnelle et fédératrice, ce qui est très intéressant. Forts de cette expérience, nous avons décidé d’étendre nos axes de travail à l’habillage, l’énergie, l’entretien. Et comme de plus en plus d’établissements, nous nous interrogeons sur l’usage unique versus le réutilisable (avec en filigrane un débat sur le dimensionnement de la stérilisation… qui fait partie de la PUI). A Nîmes, une sous-commission de la CME sera consacrée à la transition écologique en 2023, avec la possibilité de mettre en place dans les autres services de soins ce que nous avons testé sur le bloc opératoire.

Quels sont vos principaux questionnements sur le volet déchets ?

L’un de mes combats 2023 portera sur le verre médicamenteux qui, à ce jour, n’est toujours pas recyclé pour diverses raisons alliant freins réglementaires et absence de moyens/d’intérêt pour les industriels. De plus, on fait face ici à une crainte infondée puisque l’on fond le verre à 1400°C pour son recyclage alors qu’il est incinéré à 800°C en filière DASRI ! Il faut arrêter cette aberration et permettre le recyclage ou le réemploi, surtout avec les pénuries de verre qui se profilent. Il faudra coopérer entre gros établissements consommateurs pour porter le sujet et faire pression sur les fournisseurs afin d’envisager un réemploi des flacons pour la même molécule, tout en demandant un soutien de la démarche auprès des pouvoirs publics. Enfin, parfois la filière existe, mais l’organisation est complexe à mettre en place au sein de l’établissement et il faut prioriser, ce qui peut être très frustrant.

On évoque aussi le rôle de la pharmacie clinique dans le DD…

Oui, l’idée est d’optimiser la prise en charge thérapeutique du patient tout en limitant l’impact sur la santé environnementale des produits de santé. On parle de déprescription ou de “sobriété” thérapeutique. Il est également possible d’orienter le choix de molécules en fonction de leurs impacts environnementaux, qui peuvent être très différents sur les effluents au sein d’une même classe. A efficacité thérapeutique égale, nous pourrions inclure ce critère dans l‘analyse des prescriptions.

Quels sont pour vous les enjeux à venir ?

La tendance montante, c’est l’écoconception du soin. C’est-à-dire évaluer à chaque étape du soin des alternatives moins impactantes, jusqu’à décortiquer le parcours patient et les produits de santé utilisés. Le pharmacien a évidemment ici un rôle à jouer. Le sujet entrera à un moment où un autre dans toutes les PUI. Par ailleurs, il existe ici un enjeu de communication et de partage d’expériences pour faire connaître les initiatives de tel ou tel établissement et avancer ainsi tous ensemble. Enfin, il faudra former les étudiants sur le sujet.

Propos recueillis par François Silvan