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La microfluidique au service de la médecine de demain

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Technologie à la croisée de la biologie, de la physique, de la chimie ainsi que de l’ingénierie, la microfluidique s’inspire de ce qui existe dans la nature (par exemple la montée de la sève dans les feuilles des arbres ou bien la circulation du sang dans les capillaires sanguins). Cette discipline en plein essor consiste à assembler sur quelques cm2 un ensemble de composants miniaturisés (vannes, pompes, canaux, systèmes d’analyse, etc.) dans le but de réaliser une fonction avec des liquides.

Séduits par les avantages de ces technologies (rapidité de mise en œuvre et d’utilisation, faible coût, etc.), les laboratoires de recherche et les industriels ont développé de nombreuses applications tirant parti de la microfluidique. Celle-ci s’est largement imposée dans de nombreux domaines : dépistage et détection, diagnostic médical, synthèse chimique, criblage à haut débit de molécules actives, création d’organes sur puce pour des tests de médicaments in vitro, etc. Ainsi, de véritables laboratoires sur puce peuvent aujourd’hui remplacer plusieurs appareils de recherche encombrants et coûteux, réduisant les volumes et le nombre des expériences, et autorisant la réalisation de très grands nombres d’analyses en parallèle.

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Dans cette vidéo, Valéry Taly, directrice de recherche au CNRS, nous parle de la microfluidique et de ses applications, et nous explique comment la médecine de demain pourrait tirer parti de cette technologie.

Retranscription de la vidéo

Docteur Valéry Taly, pouvez-vous vous présenter ?

Docteur Valéry Taly  : Je suis directrice de recherche au CNRS. Je dirige également un groupe qui s’appelle Sensational Research and Microfluidique, qui vise à développer des outils microfluidiques pour la détection de biomarqueurs en oncologie. Mon travail au sein du laboratoire Méthodes pour médecine personnalisée, pharmacogénomique, optimisation thérapeutique, laboratoire qui est dirigé par le professeur Pierre-Laurent Puig. Nous sommes hébergés au sein du centre de recherche des Cordeliers à Paris et nous travaillons étroitement avec l’APHP et en particulier avec l’hôpital européen Georges-Pompidou à Paris.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à la microfluidique ?

DVT : En 2003, après ma thèse de doctorat, j’ai commencé à m’intéresser à une technologie qui s’appelait la compartimentation in vitro, qui a été développée par le professeur Andrew Griffiths à Cambridge, en Angleterre, qui consistait à réaliser des expériences de biologie et de chimie au sein de micro gouttelettes aqueuses pour quelques picolé ou quelques syntonie avec des applications extrêmement prometteuses, y compris dans les domaines médicaux. Cependant, on était très limités dans notre façon de créer les gouttes et de les manipuler et en 2005, on a eu une présentation d’un professeur de Harvard, qui nous a présenté des systèmes microfluidiques qui permettaient de créer des gouttelettes de manière extrêmement rapide. On était de l’ordre de 1000 à 10 000 gouttelettes seconde, puis de les manipuler à façon, mais également par exemple de les trier et d’en récupérer leur contenu. Et en combinant microfluidique, outils microfluidiques et compartimentation in vitro, on voyait bien qu’on pouvait arriver cette fois à une nouvelle technologie avec des applications multiples, y compris dans les domaines médicaux

Mais alors la microfluidique, c’est quoi exactement ?

DVT : C’est à la fois une science qui étudie le comportement des fluides dans des microcanaux avec des dimensions de l’ordre du micromètre. Mais c’est également une technologie qui vise à développer des dispositifs qui permettent de travailler sur des liquides dans des micro volutes. Ces liquides, ces fluides peuvent être monophasiques ou multiphasiques par exemple. Je travaille essentiellement, comme je vous l’ai dit, sur la création de micro gouttelettes aqueuses au sein d’une phase d’huile pour réaliser des réactions biologiques au sein de micro gouttelettes qui sont autant de micro réacteurs indépendants. 

Comment la microfluidique participe-t-elle aux avancées de la recherche biologique ?

DVT : Elle permet une très forte miniaturisation des essais qui sont liés à une augmentation de vitesse d’analyse à un niveau de précision sans précédent. On peut également contrôler réellement les réactions qu’on va réaliser et grâce à ça, on a des applications en physique, en chimie, en biologie et tout particulièrement. En biologie par exemple, la microfluidique a été très importante pour les développements de la génomique qu’on a pu voir ces dernières années. Par exemple, les systèmes de séquençage de nouvelle génération sont très souvent basés sur des systèmes microfluidiques. D’autres systèmes ont également largement bénéficié des développements de la microfluidique. C’est ce qui s’appelle l’organe sur puce et ses déclinaisons. Donc on peut aller de l’humain sur puce, organe sur puce, tumeur sur puce. Mais l’idée, c’est toujours d’avoir un environnement très contrôlé et on peut créer des organes miniaturisés et vascularisés sur puce qui vont avoir des applications multiples, que ce soit en criblage de drogue, de médicaments, de composés de l’environnement. Mais que ce soit aussi dans tout un tas de process qui permettent par exemple d’avoir une utilisation plus rationnelle des animaux, par exemple dans les tests en cosmétique par exemple. On a déjà des modèles qui ont été développés, des modèles de peaux, des modèles de poumons, des modèles de foie par exemple, et donc toutes ces analyses de tissus d’organes qu’on peut faire sur microfluidique vont donner des outils pour tout ce qui est médecine personnalisée

En parallèle, la microfluidique a permis de réaliser des analyses à l’échelle de la cellule unique. Ceci pour comprendre l’importance, par exemple, de l’hétérogénéité tissulaire, à la fois pour le développement de tissus, mais également par exemple en oncologie, pour le développement des tumeurs. Pour la réponse au traitement par exemple, on peut analyser les cellules uniques, en comprendre la déformabilité, le potentiel de migration par exemple dans le cas d’analyse de potentiel métastatique. On peut également réaliser des analyses à l’échelle de la molécule unique, donc molécule d’ADN unique, pour développer des systèmes extrêmement sensibles de détection. On peut ici parler de la PCR digitale en micro gouttelettes par exemple, qui est extrêmement développée ces dernières années. 

Quelles sont les applications médicales de la microfluidique ?

DVT : J’ai déjà cité quelques applications médicales. Mais réellement, la microfluidique a permis à la fois de miniaturiser des réactions qui étaient déjà réalisées dans les systèmes conventionnels. Par exemple ici, de réaliser des dispositifs médicaux à base de système microfluidique, comme des systèmes de mesure de glycémie par exemple, des systèmes de diagnostic prénatal, des systèmes également de micro pompes par exemple pour injecter des molécules, des médicaments, mais également de réaliser des expériences qui n’étaient pas réalisables réellement avec les systèmes conventionnels. Donc on va aller ici, par exemple, je vais citer en oncologie le développement de tumeurs sur puce qui permettent d’aller réellement vers des systèmes de médecine personnalisée. On pourra aussi citer tous les développements autour de ce qui s’appelle aujourd’hui la biopsie liquide avec tous les acteurs de la biopsie liquide. Donc les cellules tumorales circulantes qui sont vraiment le biomarqueur historique autour de la biopsie liquide. Les exo zones qui aujourd’hui sont largement utilisées à la fois comme biomarqueurs, mais éventuellement comme molécules thérapeutiques, avec aussi des systèmes microfluidique et l’ADN tumoral circulant sur lequel nous travaillons, qui est également un biomarqueur très important. Et la microfluidique a permis d’étudier ici l’impact pronostique, diagnostique et de montrer qu’on pouvait utiliser ces biomarqueurs, par exemple pour suivre les patients pour suivre leur réponse à des traitements par exemple. Vraiment, tous ces systèmes-là vont autour de ce qu’on peut appeler aujourd’hui la médecine personnalisée. 

Quels sont les défis à relever pour que cette technologie puisse être pleinement exploitée ?

DVT : C’est vraiment cette capacité qu’on aura de passer de la preuve de principe, de montrer que la technologie fonctionne et qu’elle a des applications merveilleuses, a une vraie application pertinente qui répond à un vrai besoin pour le patient. Et ça, ça va passer par la mise en place de réelles interactions entre les gens qui développent la technologie, les biologistes ou les chimistes qui connaissent le système biologique et les médecins. Vraiment des vrais consortiums. Des gens qui travaillent ensemble pour pouvoir répondre vraiment à une question et vraiment pouvoir avoir un vrai impact pour le patient, parce qu’au final c’est ce qu’on veut. Un autre défi qu’on peut avoir. On a très longtemps parlé des systèmes de laboratoire sur plus, donc sur une seule petite puce pour voir réalisé l’ensemble des réactions qu’on pouvait réaliser dans un laboratoire. Et ça, pour le coup, il y a encore des défis sur la possibilité de réaliser l’ensemble de ces réactions au sein d’un même dispositif. Et là, on a aussi besoin que toutes les disciplines puissent travailler ensemble. Donc on a un vrai besoin de consortiums, de gens qui puissent travailler ensemble efficacement en se comprenant et en avançant vers un même but qui est le but de développer vraiment des systèmes médicaux qui aient un vrai impact, un vrai bénéfice pour le patient.


Définitions

Microfluidiques : branche de la mécanique des fluides étudiant ceux qui circulent dans des canaux de quelques micromètres de diamètre.

Compartimentation : division d’un liquide dans plusieurs compartiments.

Microfluidique : technique de mise en oeuvre et d’application des fluides sur une petite échelle micrométrique (de l’ordre du micromètre).

Biomarqueur : substance chimique, aussi appelé “marqueur biologique” est un indicateur dans l’organisme permettant de diagnostiquer ou de suivre l’évolution d’une pathologie. Le biomarqueur est très souvent utilisé dans les interventions thérapeutiques.

Médecine personnalisée : médecine visant à améliorer la prise en charge des patients en utilisant des traitements spécifiques au vue des caractéristiques uniques des individus suite à une stratification.

Bibliographie

Les défis du CEA no 238, 2019. La microfluidique.

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