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Sandrine Boucher, directrice de la stratégie médicale et de la performance à Unicancer

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“Il faut aller vers des financements valorisant la coordination et l’accompagnement”

Le suivi à domicile des patients sous anticancéreux oraux fait l’objet d’une des plus importantes expérimentations article 51 (44 établissements). A l’entrée dans sa phase cible de 24 mois, nous faisons le point avec Sandrine Boucher, directrice de la stratégie médicale et de la performance à Unicancer, qui coordonne le projet.

Quels sont les contours de l’expérimentation et quel rôle y joue Unicancer ?

Nous avions déposé en octobre 2018 une lettre d’intention, qui ressemblait plus à un cahier des charges (CdC), pour le compte des 20 centres de lutte contre le cancer (CLCC). Six autres portaient sur le sujet des thérapies orales, avec notamment le programme Oncoral, aux HCL, qui était pionnier. On nous a proposé de faire converger les projets, Unicancer jouant un rôle de coordination et d’analyse de la phase pilote, pour adapter le CdC. Nous avons travaillé tous ensemble pendant deux ans avant l’arrêté de novembre 2020 relatif à l’expérimentation, et le premier patient a été inclus en octobre 2021. A l’issue de la phase pilote, 2003 patients avaient été inclus dans 22 établissements, dont 1026 dans neuf CLCC. La phase cible vient de démarrer avec le second arrêté publié le 8 novembre 2022 et 22 sites supplémentaires rejoignent le projet. On vise à inclure de 10 à 11000 patients d’ici deux ans, la volumétrie par établissement allant de moins de 100 à plus de 700.

Le volet “innovation organisationnelle” porte sur un double parcours pluriprofessionnel ville-hôpital en trois séquences. Quels en sont les principaux objectifs ?

L’objectif numéro un reste la détection précoce des effets indésirables, la limitation des complications de grades III et IV, et des interactions médicamenteuses. Avec à la clé une meilleure adhésion aux traitements et observance pour les patients, une prise en charge rassurante et sécurisée. Côté professionnels de santé, on vise le développement des pratiques de coordination. Le rôle de “tour de contrôle” de l’établissement est surtout effectif dans les premières séquences, l’objectif étant d’avoir un transfert progressif de la surveillance vers la ville et notamment le pharmacien d’officine. L’officinal est prévenu au départ de la venue du patient par le pharmacien de PUI, qui est son contact. On est dans une forme de compagnonnage pour échanger si besoin, se renseigner afin de monter en puissance sur des molécules peu connues des officinaux et qui sont coûteuses. Le médecin traitant est bien sûr aussi informé.

Le volet “financement innovant” est basé sur une rémunération forfaitaire. Comment varient ces forfaits ?

C’est l’établissement de santé qui déclenchele financement de l’officinal ou du médecin traitant à la fin d’une séquence. Il existe des forfaits différents pour chaque acteur et selon les parcours A (médicaments délivrés en ville) ou B (au moins un médicament sous réserve hospitalière), et selon chacune des trois séquences (primoprescription, suivi proximal et suivi distal). Ils varient également si le médecin traitant et l’officinal ne participent pas [voir le tableau des forfaits ci-dessous]. Certains forfaits valorisent la coordination et le temps/le travail nécessaire au pharmacien hospitalier. Mais aussi la pharmacie clinique à travers les entretiens patients.

Les forfaits

A cet égard, la phase pilote a-t-elle apporté des réponses aux questions qui se posaient, dont le niveau des forfaits ?

60% des officinaux ont accepté d’intégrer le parcours, ce qui est beaucoup vu la période d’inclusion en plein Covid, avec un bon de retour à la clé. L’implication des médecins traitants est plus compliquée. En tout cas, la faisabilité d’un tel parcours a été démontrée. Quant aux forfaits, ils ont été revus en fonction de l’observation des coûts en phase pilote et de l’impact du Ségur, et pour devenir incitatifs à l’”embarquement” des officinaux. Pour une prise en charge des patients en proximité, il faut que tous les acteurs “aient envie” et il faut une coordination efficace. Donc un modèle de financement qui ne soit pas en silo et qui soit adapté. Quand un établissement de référence passe du temps à former un autre établissement ou des professionnels libéraux, à les appuyer, à surveiller les patients à distance, eh bien il doit être rémunéré pour ça.

L’un des objectifs est aussi l’efficience du système de santé…

Oui, il nous faut démontrer que ce type d’organisation adossé à ce type de financement, permet d’aller vers une réduction, ou au moins un statu quo, des dépenses de santé : en l’occurrence, moins de gaspillage de médicaments, plus d’efficience par une meilleure adhésion thérapeutique, une réduction des coûts d’hospitalisation liés à des effets indésirables graves et enfin une baisse des coûts de transports.

Comment tout cela sera-t-il évalué ?

Via deux rapports d’évaluation au bout d’un an et à la fin de la phase cible. A ce jour, aucune expérimentation article 51 n’a vraiment abouti. On n’a donc pas de recul pour savoir comme se passe le basculement de l’expérimentation vers un financement pérenne. Nous sommes impatients de le voir !

Quels enseignements en tirez-vous déjà au niveau d’Unicancer ?

L’enjeu de parcours de ce type va bien au-delà des prises en charge orales, quand on sait qu’un patient suivi aujourd’hui pour un cancer passe moins de 10% de son temps dans notre établissement (tous types de traitements confondus), avec à la clé des effets secondaires plus variés et souvent plus complexes qu’avant. L’expérimentation montre que l’articulation des équipes de ville et hospitalière permet une prise en charge au bon endroit et au bon moment, avec une meilleure sécurité. La coordination/l’appui auprès d’autres établissements ou offreurs de soins, puis le transfert de suivis, c’est un sujet pour toute la cancérologie. C’est pourquoi il faut aller vers des systèmes de financement valorisant le temps passé pour se coordonner et les accompagner.

Propos recueillis par François Silvan