Développement de l’ADN tumoral circulant : entre avancées et avant-garde
© Edimark – Correspondances en Onco-Théranostic, Vol XIII – n° 4
Points forts
- L’ADN tumoral circulant (ADNtc) est utilisé en routine pour le génotypage des cancers au stade métastatique.
- La détection précoce de résistance secondaire pourrait entrer en routine prochainement.
- Les autres applications restent encore du domaine de la recherche.
- Le dépistage par l’ADNtc a fait ses premiers pas, mais est à améliorer.
Le développement de l’ADN tumoral circulant (ADNtc) comme biomarqueur est l’un des grands succès de la recherche translationnelle en oncologie de la dernière décennie, faisant suite à la diffusion de nouvelles techniques (séquençage NGS, PCR digitale) capables de distinguer de rares sous-populations d’ADN. La validité analytique étant établie, l’utilisation de l’ADNtc a pu être rapidement validée comme substitut non invasif à une biopsie tumorale dans les cancers métastatiques. D’autres applications restent envisagées, certaines faisant même déjà l’objet d’un remboursement outre-Atlantique, alors même que la démonstration de leur utilité clinique n’a pas été faite.
Mots-clés : ADNtc – Biomarqueurs – Utilité clinique – Biopsie liquide.
Développement des biomarqueurs : théorie et pratique
Le développement de nouveaux biomarqueurs en oncologie a été théorisé au tournant du XXIe siècle, avec la distinction de 3 grandes étapes : validité analytique, validité clinique, utilité clinique :
- la validité analytique qui correspond grosso modo au travail de laboratoire (reproductibilité de la mesure, etc).
- la validité clinique est une étape assez facile, visant à associer le biomarqueur à un ou des événements cliniques d’intérêt (présence de cancer, sensibilité du cancer à un traitement, etc).
- l’utilité clinique, beaucoup plus compliquée à démontrer, qui repose sur la démonstration de l’amélioration du devenir clinique (survie, qualité de vie, etc.) des patients grâce au biomarqueur.
Pour parachever cette méthodologie, il a été proposé des échelles de niveau de preuve qui permettent de juger de la qualité de la démonstration pour chacune des étapes précédemment citées 1.
Ce cadre théorique de validation de biomarqueurs, produit typique du paradigme de la médecine fondée sur les preuves, a l’avantage d’imposer une évaluation stricte et stringente des biomarqueurs, économisant aux systèmes de santé le coût de nombreux tests inutiles. Il s’agissait aussi d’éviter le fiasco rétrospectif des marqueurs tumoraux sériques, et dont les variations en cours de traitement restent, 40 ans après leur développement sans cadre méthodologique, le plus généralement ininterprétables (PSA exclu). D’un autre côté, l’inconvénient majeur de cette théorie du développement des biomarqueurs est le temps (et donc le coût) requis pour franchir ces étapes avec un niveau de preuve suffisant, alors que les stratégies thérapeutiques évoluent rapidement. De là, il est assez aisé de penser que la relative stabilité des biomarqueurs utilisés en oncologie (en simplifiant, immunohistochimie et séquençage de l’ADN) depuis plusieurs dizaines d’années soit le résultat de ces procédures d’évaluation trop stringentes, dont l’ADNtc semble en partie s’affranchir.
Typage génétique au stade métastatique
L’utilisation de l’ADNtc comme substitut du tissu tumoral pour la détermination du statut mutationnel a connu ses premières validations dans les cancers bronchiques, afin de déterminer l’éligibilité aux anti-EGFR. Deux processus ont mené à une adoption rapide de l’ADNtc pour cette utilisation, d’une part, le fait que l’ADNtc soit utilisé comme un substitut, requérant des études qui rapportent des associations entre statut mutationnel tissulaire tumoral et ADNtc, mais qui ne nécessitent pas de preuve formelle de supériorité ou d’utilité clinique, et, d’autre part, la facilité et la rapidité d’obtention d’une prise de sang, à l’opposé de la difficulté à obtenir des biopsies tumorales, ayant immédiatement rendu l’ADNtc attractif comme « outil diagnostique compagnon » pour le développement de nouvelles thérapeutiques ciblées.
Si l’utilisation de l’ADNtc s’est vue très rapidement diffusée en routine clinique pour le typage génomique au stade métastatique, ses limitations n’ont cependant pas toujours été bien expliquées. Il peut être rappelé que la spécificité de l’ADNtc est très bonne (il n’existe pas de faux positif avec des méthodes validées) mais sa sensibilité reste imparfaite. Cette sensibilité dépend de la technique utilisée et du volume de plasma analysé, mais surtout de la quantité d’ADNtc présente, qui est elle-même fonction du volume tumoral, de la prolifération au moment du prélèvement et d’éventuelles barrières anatomiques. Une représentation mentale utile peut être d’imaginer le volume tumoral total qui fixerait fortement le FDG sur une TEP faite au moment du prélèvement : un carcinome mammaire de type non spécifique triple-négatif de grade 3 avec multiples lésions viscérales en progression mènera à un taux d’ADNtc bien supérieur qu’une carcinose péritonéale de faible volume secondaire à un cancer lobulaire et contrôlée par le traitement. La probabilité de « rater » une mutation tumorale par analyse de l’ADNtc sera ainsi quasi nulle dans le 1er cas et très importante dans le 2e.
Une autre limitation est celle, plus rare, relative au type d’anomalie génétique devant être détectée. Les mutations ponctuelles dans divers oncogènes (PIK3CA, AKT, EGFR, RAS, etc.) représentent la majorité des mutations ciblables en oncologie. Néanmoins, certains oncogènes (ERBB2 par exemple) et suppresseurs de tumeurs (PTEN par exemple) peuvent mener à l’activation de voies de signalisation, à la suite de changements du nombre de copies (gain pour les oncogènes, perte pour les suppresseurs de tumeurs), qui sont difficiles à distinguer et nécessitent une quantité importante d’ADNtc dans le sang pour permettre une analyse concluante.
Détection précoce de la réponse au traitement
Au-delà du typage génétique précédemment discuté, l’un des intérêts de l’ADNtc est son aspect quantitatif : la quantité d’ADN muté est disponible soit de manière directe (pour les techniques de PCR digitale), soit indirecte, en pourcentage de fréquence allélique (pour les techniques de NGS et de PCR digitale). Cela permet donc d’imaginer des applications semblables à celles des marqueurs sériques bien connus de type PSA ou ACE, en cours de traitement. De là, des stratégies dynamiques de traitement s’adaptant à la réponse (ou résistance) précoce détectée par les variations quantitatives de l’ADNtc, peuvent ensuite être imaginées.
Depuis la généralisation des études sur l’ADNtc (soit depuis une douzaine d’années), plusieurs centaines de publications ont rapporté que la baisse ou la disparition de l’ADNtc en cours de traitement est associée à une meilleure réponse aux traitements, tous types tumoraux et tous traitements confondus. Cependant, aucun seuil de variation n’a été validé et il semble que ces seuils dépendent du type de cancer, du type de traitement et d’autres facteurs encore insuffisamment caractérisés, comme l’a suggéré l’essai anglais plasmaMATCH, qui proposait plusieurs types de traitements différents 2. Dans le cancer du sein métastatique, l’essai français SAFIR 03 (NCT05625087) propose des traitements plus intenses de rattrapage aux patientes traitées par hormonothérapie mais présentant un niveau d’ADNtc élevé après le début du traitement. Plusieurs tentatives visant à définir des approches pour arriver à des critères de type « RECIST pour ADNtc » sont en cours, la plupart d’ordre plutôt théorique, les données de variations d’ADNtc dans les grands essais randomisés industriels n’étant généralement pas rendues publiques3.
Détection de l’acquisition de résistance tardive
Le monitoring de l’acquisition de résistance tardive revient, in fine, à répéter les biopsies liquides pour détecter l’apparition de nouvelles mutations de résistance tout au long d’un traitement. La simplicité de l’approche tient au fait qu’il s’agit d’un signal qualitatif (passage de « mutation non détectée » à « mutation détectée ») qui est assez extrapolable d’une plateforme de détection à une autre et n’utilise pas la notion de seuil de variations à laquelle les approches de monitoring évoquées plus haut se heurtent. Il n’en reste pas moins que ce monitoring de l’acquisition de résistance tardive n’a d’intérêt que si ces mutations sont ciblables d’un point de vue thérapeutique.
La preuve de concept, supportant l’utilité de cette approche, a été rapportée par des essais dans lesquels la détection précoce dans le sang de l’apparition de mutation de résistance, avant qu’elle n’ait conduit à une réévaluation tumorale, a permis de proposer un switch de thérapie.
Détection des rechutes métastatiques et de la maladie résiduelle
Pouvoir déterminer avec exactitude quel patient présente une maladie résiduelle après un traitement local d’un cancer non métastatique est un objectif majeur en cancérologie afin de permettre un meilleur ciblage des traitements adjuvants. Il est donc particulièrement attirant de détecter de manière non invasive l’éventuelle présence de ces cellules tumorales résiduelles, là où l’imagerie actuelle est insuffisante. Il faut d’emblée modérer ces ambitions par les limites biologiques de l’ADNtc : cet ADN a une vitesse de clairance du sang très élevée (la demi-vie étant inférieure à 1 heure), ainsi, maintenir des taux détectables d’ADNtc requiert un relargage continu dans le sang d’ADN issu de cellules tumorales mortes, ce qui nécessite l’existence d’un réservoir non nul de cellules tumorales en cycle et ce qui s’éloigne du modèle de dormance cellulaire. De manière peu surprenante, les cancers les plus susceptibles de rechuter à court terme (comme les cancers bronchiques ou colorectaux) sont ceux où l’ADNtc semble être le plus performant pour détecter les rechutes. Les cancers du sein hormonodépendants, qui peuvent rechuter bien au-delà des 5 premières années de suivi, restent des cibles plus difficiles.
Dans le cancer colorectal, la détection d’une maladie résiduelle a d’ores et déjà été associée à des possibilités de désescalade thérapeutique, avec un 1er essai de désescalade, méthodologiquement imparfait, mais ayant le mérite d’établir une preuve de faisabilité, dans les cancers colorectaux de stades II 4. De nombreux autres essais ont débuté sur le cancer colorectal, qui sont en cours de recrutement ou de suivi. Les autres types tumoraux restent un peu en retrait, avec des études s’attachant encore à démontrer l’utilité des nouvelles techniques de détection de l’ADN, permettant de suivre des dizaines, voire des centaines, de mutations de la tumeur.
Partant du constat de la difficulté à détecter la maladie résiduelle, une autre utilisation de ces tests a fait l’objet de nombreuses publications, dans plusieurs types tumoraux : la détection précoce des rechutes tumorales, en cours de suivi après un traitement adjuvant. Il s’agit ici de commencer plus tôt le traitement de 1re ligne métastatique (en cas de détection de la rechute à la suite de la détection d’ADNtc), voire éventuellement essayer d’utiliser un traitement qui retarde la rechute métastatique pour les patients présentant un signal moléculaire de rechute mais ne présentant pas encore d’image radiologique de rechute. L’existence d’un intervalle libre entre détection de l’ADNtc et la survenue d’une rechute métastatique documentée par l’imagerie dépend, d’une part, de la sensibilité de la technique d’ADNtc et, d’autre part, de la performance des moyens d’imagerie et de l’opiniâtreté des médecins radiologues à détecter des rechutes chez ces patients. Il est cependant très intéressant de noter que les tests de détection des rechutes par ADNtc sont dorénavant remboursés aux États-Unis, notamment dans le cancer du sein, et ce, malgré l’absence totale de preuve d’une quelconque utilité clinique.
Dépistage
La dernière application de l’ADNtc est celle du dépistage primaire, c’est-à-dire la recherche de cancer dans une population plus ou moins sélectionnée sur le critère du risque accru de cancer (du seul fait de l’âge, d’une prédisposition génétique connue, etc.). Les approches technologiques sont différentes car il s’agit alors pour le test de détecter le cancer sans avoir connaissance des mutations mises en jeu dans le processus d’oncogenèse. Ces tests font donc appel à plusieurs dimensions au-delà des seuls variants de la séquence d’ADN, notamment l’existence d’un différentiel de méthylation entre tumeur et tissu normal.
Les tests les plus avancés dans leur développement sont ceux proposés par des sociétés privées, avec plusieurs études de grande ampleur.
Conclusion
La détection d’ADNtc est devenue une routine dans de nombreuses situations de typage moléculaire au stade métastatique, à l’origine d’un enthousiasme certain (et pleinement justifié) vis-à-vis de cette approche. Les autres applications restent toutefois d’utilité plus hétérogène, les plus avancées étant la détection des rechutes métastatiques et celle de l’apparition de résistance aux traitements. Ces avancées, qu’elles soient tangibles et facilement accessibles, ou d’avant-garde et plus élitistes dans leur mise en pratique, s’inscrivent par ailleurs dans un contexte nouveau, où la démonstration formelle d’une utilité clinique ne semble plus être un prérequis indispensable au remboursement de tests moléculaires, tout au moins aux États-Unis.
(1) Hayes DF. Defining clinical utility of tumor biomarker tests: a clinician’s viewpoint. J Clin Oncol 2021;39(3):238-48.
(2) Turner NC et al. PlasmaMATCH: a study of the utility of circulating tumor DNA in guiding targeted therapy for breast cancer. Lancet Oncol 2020;21(10):1296-308.
(3) Wyatt AW et al. Plasma ctDNA as a treatment response biomarker in metastatic cancers: evaluation by the RECIST working group. Clin Cancer Res 2024. doi: 10.1158/1078-0432.CCR-24-1883. Online ahead of print.
(4) Tie J et al. Circulating tumor DNA analysis guiding adjuvant therapy in stage II colon cancer. New Engl J Med 2022;386(24):2261-72.