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Signatures prédictives, nouvelles modalités de médecine personnalisée dans les cancers digestifs


© Edimark – Correspondances en Onco-Théranostic, Vol XIII – n° 4

Points forts

  • Les biomarqueurs améliorent le dépistage et le diagnostic des cancers digestifs. Leur utilisation en routine clinique permet d’adapter la stratégie thérapeutique au profil de chaque patient.
  • Les signatures sont des biomarqueurs composites formés de plusieurs indicateurs, peu informatifs pris indépendamment, mais dont la combinaison a une forte valeur prédictive.
  • Dans les cas de cancers colorectaux avec instabilité des microsatellites, 2 signatures transcriptomiques permettent d’identifier les patients susceptibles de répondre aux immunothérapies.

Les cancers digestifs réunissent les tumeurs malignes qui se développent dans le tube digestif (œsophage, estomac, intestin grêle, côlon, rectum et anus) ainsi que dans les glandes associées (foie, pancréas). La plupart de ces tumeurs trouvent leur origine dans les muqueuses qui tapissent les parois du tube digestif ou des canaux excréteurs des glandes. En 2022, ces cancers figuraient comme la principale cause de mortalité liée au cancer en Europe, avec plus de 350 000 décès chaque année 1.
Alors que les classifications tumorales, et, par extension, le choix des stratégies thérapeutiques, sont dominées par des critères anatomiques, il apparaît évident que l’intégration de paramètres biologiques mesurables permettrait d’améliorer la stratification des patients 1. Ces paramètres biologiques, appelés biomarqueurs, sont des indicateurs liés à des processus normaux ou pathologiques 2. Ils peuvent servir à dépister des maladies, préciser un diagnostic, évaluer ou prédire la réponse à un traitement ou la toxicité d’une molécule. Les biomarqueurs les plus courants sont des protéines, dont la concentration peut être facilement mesurée dans les fluides corporels, tels que le sang ou l’urine 3, ou directement sur un tissu tumoral (par immunohistochimie par exemple).

Mots-clés : Biomarqueurs – Facteur prédictif – Facteur pronostique – Signature transcriptomique – Cancers digestifs.

Signatures moléculaires prédictives

Dès 1994, G.M. Clark différenciait les facteurs pronostiques, qui déterminent l’issue potentielle de la maladie, des facteurs prédictifs, qui indiquent la probabilité de réponse au traitement, quelle que soit la stratégie thérapeutique 4. Si le concept de biomarqueur compagnon a largement été développé à l’ère des traitements ciblés en oncologie, son extension à d’autres approches thérapeutiques (par exemple, chimiothérapies) a été considérablement limitée par la complexité des mécanismes de résistance, qui ne peut être réduite à un seul biomarqueur.
Les récents progrès des technologies « -omiques » (génomique, transcriptomique, métabolomique ou encore épigénomique) et leur compatibilité avec la routine clinique offrent de nouvelles perspectives. Elles permettent désormais d’explorer de manière exhaustive les caractéristiques moléculaires des tumeurs et de comprendre leur importance clinique. Ces avancées ont conduit au développement de nombreuses signatures d’expression génique, majoritairement pronostiques et parfois prédictives, qui permettent de classer les lésions cancéreuses.
Si les biomarqueurs peuvent varier en nature (protéique, cellulaire, enzymatique, etc.), une signature d’expression génique, c’est-à-dire transcriptomique, se compose d’un ensemble spécifique de gènes dont les niveaux d’expression fournissent des informations sur le diagnostic ou le pronostic 1. Ces signatures, de par leur nature multiparamétrique, condensent le signal à l’échelle du génome en un biomarqueur composite unique. Elles peuvent renseigner sur le comportement de la tumeur, comme la probabilité de récidive, la sensibilité aux traitements et l’évolution de la maladie dans le temps. Dans la plupart des cas, lorsqu’un gène est associé à une signature, son expression est liée au mécanisme de récidive ou de résistance thérapeutique 5.
Alors même que la plupart des patients traités par chimiothérapie subissent des effets indésirables, il est difficile de prédire avec certitude si un individu bénéficiera du traitement. En pratique, seule une partie des personnes traitées voit leur tumeur régresser 6. Par ailleurs, certains patients qui ne présentent pas de signes de métastases distantes au moment de la résection de la tumeur, peuvent héberger des micrométastases susceptibles de se développer par la suite. Pour la plupart des molécules cytotoxiques, il n’existe pas de signature génique fiable permettant de prédire l’efficacité du traitement sur les tumeurs.
La réponse à la chimiothérapie dépend principalement de l’efficacité du médicament à atteindre son objectif et à éliminer les cellules tumorales. Cette réponse peut être compromise par des stratégies adoptées par la tumeur, telles que des modifications du profil transcriptomique qui altèrent la cible du traitement ou empêchent son entrée dans la cellule 6.
En reposant sur l’analyse des profils d’expression génique de la tumeur primaire, les signatures pronostiques évaluent le risque de résistance et de récurrence tumorale. Elles permettent de distinguer les patients susceptibles de bénéficier des thérapies adjuvantes (chimiothérapies préventives administrées après l’opération) de ceux qui ne développeront pas de nouvelles tumeurs et n’ont donc pas besoin de ces traitements coûteux et toxiques 6.
Bien que la routine clinique n’inclue pas, à ce jour, de signatures de réponse au traitement, leur intérêt majeur réside dans l’optimisation des ressources thérapeutiques. Il peut être ainsi raisonnablement envisager que leur application permette de réduire les taux de surtraitement et de sous-traitement, tout en évitant des effets indésirables inutiles chez les patients que l’on sait résistants 5. Fournir de nouveaux critères de sélection de traitement permettrait ainsi d’améliorer la prise en charge des patients afin de tendre vers une médecine plus personnalisée et adaptée au profil, notamment tumoral, de chacun.

La construction d’une signature prédictive requiert l’identification de gènes impliqués dans les mécanismes d’actions thérapeutiques associés à des critères d’évaluation clinique ou précliniques, tels que la mort cellulaire ou l’inhibition de la croissance tumorale 5. En raison de leur nature multiparamétrique, les signatures doivent répondre à un ensemble de critères d’évaluation justifiant de leur robustesse :

  • leur valeur prédictive doit être significative dans des ensembles de données représentatifs de la population cible
  • leur expression doit être homogène entre et au sein des tissus tumoraux afin de prendre en compte la variance inter- ou intra-individuelle
  • leur transposition clinique doit être facilitée et leur expression doit rester indépendante des caractéristiques clinicopathologiques ou du type de la tumeur 1.

Application au cancer colorectal

Le cancer colorectal se classe comme le 2e cancer le plus fréquent chez les femmes et la 3e cause de mortalité liée au cancer chez les hommes en Europe, entraînant plus de 150 000 décès chaque année. Chez les patients atteints d’un cancer colorectal présentant une déficience du système MMR et une instabilité des microsatellites (tumeur dMMR/MSI), l’immunothérapie fondée sur les inhibiteurs de points de contrôle immunitaire (ICI) se révèle particulièrement efficace.
Parce que la plupart des patients sont détectés à un stade localement avancé ou métastatique, la sélection de traitements spécifiques ou de stratégies de surveillance repose sur la mise en évidence de biomarqueurs adaptés 1. À l’heure actuelle, le statut dMMR/MSI est le seul biomarqueur prédictif de l’efficacité des ICI, témoignant d’une charge mutationnelle élevée et d’un important infiltrat immunitaire 8. Cependant, entre 10 et 40 % des patients présentant une tumeur de ce statut ne répondent pas aux ICI 7 et sont classés comme résistants primaires, ce qui rend leur identification et l’adaptation des stratégies thérapeutiques essentielles.
Des études, à l’origine de signatures transcriptomiques liées à la réponse aux ICI dans les cancers colorectaux métastatiques dMMR/MSI confirment la possibilité d’identifier des biomarqueurs composites, tout en validant leur valeur prédictive. De plus, l’association à des facteurs biologiques démontre la rationalité de l’approche, puisque la pertinence des signatures proposées est explicable.

Vers une médecine personnalisée et prédictive

Les avancées dans les technologies « -omiques » et leur application aux tissus tumoraux issus de la routine clinique offrent un aperçu global des caractéristiques moléculaires des tumeurs, ouvrant la voie à une nouvelle forme de médecine personnalisée. Les signatures moléculaires constituent des outils prédictifs précieux, notamment pour évaluer la sensibilité aux traitements lorsque de simples biomarqueurs compagnons ne sont pas clairement identifiés.
Cependant, malgré les progrès réalisés, des défis subsistent en matière d’intégration de ces biomarqueurs complexes dans la pratique clinique quotidienne. Si ces signatures nécessitent de solides niveaux de validation, comme tout outil de décision issu de l’intelligence artificielle, le défi est avant tout administratif, logistique et financier. Bien que certaines signatures commencent à apparaître au sein de plateformes, comme celles du Plan France médecine génomique, leur utilisation quotidienne est freinée par des délais de rendu parfois trop longs et des exigences élevées en termes de qualité des échantillons. Enfin, le développement de ces signatures nécessite un grand nombre de patients, soulignant l’importance des études ancillaires des essais cliniques 5.
Il est donc essentiel de relever les défis biologiques, technologiques et statistiques afin de garantir aux patients atteints d’un cancer digestif un accès complet aux avancées de la recherche. En mettant l’accent sur une approche multidisciplinaire et une collaboration étroite entre chercheurs et cliniciens, il paraît envisageable de réaliser le potentiel prometteur des biomarqueurs pour une majorité d’indications en oncologie.

(1) Qian Y et al. Prognostic cancer gene expression signatures: current status and challenges. Cells 2021;10(3):648.

(2) Sarhadi VK, Armengol G. Molecular biomarkers in cancer. Biomolecules 2022;12(8):1021.

(3) Biomarkers definitions working group. Biomarkers and surrogate endpoints: preferred definition and conceptual frameworks. Clin Pharmacol Ther 2001;69(3):89-95.

(4) Clark GM. Do we really need prognostic factors for breast cancer? Breast Cancer Res Treat 1994;30(2):117-26.

(5) Pritzker KP. Predictive and prognostic cancer biomarkers revisited. Expert Rev Mol Diagn 2015;15(8):971-4.

(6) Borst P, Wessels L. Do predictive signatures really predict response to cancer chemotherapy? Cell Cycle 2010;9(24):4836-40.

(7) Gallois C et al. Transcriptomic signatures of MSI-high metastatic colorectal cancer predict efficacy of immune checkpoint inhibitors. Clin Cancer Res 2023;29(18):3771-8.

(8) Ratovomanana T et al. Pre­diction of response to immune checkpoint blockade in patients with metastatic colorectal cancer with microsatellite instability. Ann Oncol 2023;34(8):703-13.