Podcast : Quelle place pour le bot dans la relation médecin-patient
La présence grandissante des chatbots médicaux (aussi appelés agents conversationnels), dans un domaine où les dimensions affectives, éthiques et déontologiques sont essentielles, peut s’avérer anxiogène, non seulement pour les patients mais également pour les soignants de la santé en ligne. Quels seront les impacts de l’utilisation des chatbots pour les patients au niveau de leur parcours de soin ? La prise en charge sera-t-elle plus rapide et simplifiée ? Retrouvez Carole Lailler, Dr en Sciences du langage et consultante en intelligence artificielle qui nous éclaire sur ce sujet.
Animateur du podcast – Nicolas Latour :
Bonjour, je suis Nicolas Latour et je vous propose de parler de la place du chatbot médical dans la relation médecin-patient avec notre invité, Carole Lailler, Dr en Sciences du langage et consultante en intelligence artificielle Bonjour Carole !
Carole Lailler :
Bonjour Nicolas, bonjour à tous.
Nicolas Latour :
Ravi de vous avoir avec nous. On entend beaucoup parler des chatbots. Pouvez-vous tout d’abord nous définir ce qu’on entend par chatbot* ?
Carole Lailler :
Un chatbot peut être un système de dialogue, un outil conversationnel, un agent intelligent ou encore un compagnon intelligent.
La mise en place du bot peut prendre différentes formes en termes d’incarnation mais aussi technologique:
1/ Le bot peut être incarné par un chat écrit (chatbot), par une voix (voicebot), par un objet physique avec un visage, ou au téléphone (callbot). Il peut également répondre en différé.
2/Sur le plan technologique, on distingue 3 types de bot, du plus basique/standardisé au plus conversationnel :
Différents types d’usage
Le choix d’une incarnation et d’une technologie dépendra de l’usage du chatbot.
Dans le domaine médical, le vocabulaire est très précis et utilisé avec une rigidité terminologique que la machine peut facilement apprendre. On peut donc choisir une technologie plus standardisée. Les patients, en revanche, peuvent comprendre plus ou moins, s’exprimer avec leurs propres mots ou répondre qu’ils ne savent pas. Le chatbot doit donc être plus flexible, avoir de la ressource et prévoir plus de scénarii pour faire remonter à bon escient des alertes aux professionnels de santé. Enfin, les enfants sont un public particulier. Ils expriment leur intention avec beaucoup de liberté et d’imagination. La technologie du chatbot devra donc être très ouverte, de façon à ce que toutes les entrées amènent à une forme de réponse. Il faudra de plus choisir une incarnation vocale, car ils ne savent peut-être ni lire, ni écrire au clavier, ou pas assez bien.
L’essentiel est que les contenus des messages soient adaptés aux besoins du professionnel de santé avec un algorithme spécifique et de maintenir l’interaction la plus fluide et agréable possible avec le patient.
Nicolas Latour :
Du coup, la nature du bot peut-elle influencer la relation de confiance avec le patient ? Carole Lailler : oui, le chatbot médical est perçu comme un prolongement du professionnel de santé qui en recommande l’usage. Il faut donc soigneusement choisir l’incarnation et le ton juste, et s’assurer que les réponses ont un haut score de confiance, particulièrement dans le domaine de la santé et des soins médicaux.
Concernant la tonalité, il faut forcément mettre un peu d’empathie dans un chatbot médical. Mais il faut bien doser. C’est au cas par cas, il n’y a pas de recette unique. Si on choisit une incarnation vocale, faut-il plutôt assumer la voix de synthèse, très compréhensible mais déshumanisée, ou une voix plus sympathique et au débit plus cadencé mais qui risque d’être mal comprise ? Dans la santé, mieux vaut ne pas prendre de risque et favoriser la compréhension avec un ton neutre, sans pour autant tomber dans un ton triste et grave. Pour les enfants en revanche on pourra privilégier une tonalité plus joyeuse. Dans le cas d’une incarnation écrite, on jouera avec le tutoiement/ vouvoiement ou avec la ponctuation. On s’adressera ou non au patient par son nom. Il faudra en tout cas privilégier les phrases courtes et recontextualiser sa question en fonction des échanges précédents. L’important est de fluidifier la relation pour qu’elle inspire confiance. Concernant la pertinence de la réponse, les chatbots sont construits à partir d’un corpus d’apprentissage “in domaine”, c’est-à-dire des formulations et du vocabulaire dans ses contextes associés au domaine d’usage. Ils sont ensuite évalués par un score de confiance établie par des questions et reformulations que l’utilisateur valide, avec toujours des situations de repli du type “j’ai mal compris votre question, veuillez contacter XXX”. De plus, l’outil est éprouvé par des phases de bêta-test de professionnels et de patients. Dans cette phase, ils essaient au maximum de piéger le chatbot ! Dans le domaine de la santé, parce que le sujet est très sensible, le score de confiance doit être particulièrement élevé, autour de 90 %. Tous ces paramètres sont essentiels pour bâtir une relation de confiance entre l’utilisateur et le chatbot. C’est essentiel, car un chatbot médical décevant pourrait abîmer la relation de confiance existante entre le professionnel de santé et le patient.
Nicolas Latour :
Et finalement, peut-on dire que le chatbot sert la qualité de la relation patient ? Y a-t-il des limites ?
Carole Lailler :
Le chatbot médical ne remplace jamais le professionnel de santé, il lui est complémentaire. Il favorise l’intégration de la vie quotidienne du patient dans le processus de soins et permet une continuité de lien avec le professionnel de santé. Le chatbot est toujours adossé à une relation humaine, c’est un fil conducteur qui ne se suffit pas à lui-même.
Le chatbot, partenaire du médecin
Le chatbot peut même avoir un avantage sur la relation humaine. Comme il est incapable de juger, beaucoup de gens préfèrent se confier à lui plutôt qu’à un humain : il est en effet parfois plus facile pour le patient de dire qu’il a mal pris son traitement ou a un effet indésirable gênant… Au-delà du gain de temps pour les professionnels de santé, le chatbot médical permet d’optimiser la collaboration entre le médecin et son patient par un meilleur contrôle du suivi patients en évitant la rétention d’information et ainsi objectiver les soins.
Des garde-fous pensés en amont
Retrouvée parfois dans certains médias, la crainte que des chatbots médicaux puissent mal aiguiller les humains jusqu’à leur faire courir un danger n’est pas fondée. Tout s’anticipe en amont dès la conception des algorithmes, avec un bon cahier des charges et un bon bêta-test. Ils permettent d’anticiper des situations qui seront alors maîtrisées, grâce aux scores de confiance et situations de repli.
Dans la santé, la détection de certaines thématiques prévues en amont permet au bot de rediriger le patient vers le professionnel de santé. Il existe d’autres signaux d’alerte : par exemple, la non connexion du patient au bot depuis un nombre prédéfini de jours ou d’heures peut également constituer une alerte pour qu’un professionnel de santé le contacte. L’alerte ne sera pas jugée positive ou négative, mais sera remontée et évaluée par l’humain.
Il y a toujours un retour à l’humain au bout de la chaîne. Le chatbot médical est une aide à la décision, un outil favorisant une interaction personnalisée, et non un outil de prise de décision. L’humain reste toujours au centre.
Nicolas Latour :
Merci beaucoup Carole ! Je vous souhaite, ainsi qu’à tous nos auditeurs, une belle journée.